31 oct. 2007

Coup de gueule sur Alcatel

Et l'industrie électronique française en général.
La blogosphère française reste étrangement silencieuse sur le sujet. Pour elle ce pan de l'industrie française a tout simplement disparu (électronique professionnelle type Thalès, ... mise à part) et cela n'émeut personne.

Mais où sont passés les grands noms français de cette industrie, les Sagem, Thomson et Alcatel ? Effectuez juste un petit retour de 7 ans en arrière et promenez vous dans un magasin d'électronique.

* Coté PC, les américains dominent et les européens sont déjà out. Les asiatiques sont inexistants, alors qu'aujourd'hui ils se vendent en masse.
* Coté téléviseurs, les européens dominent 80% du marché, seul Sony implanté depuis 20 ans leur damne le pion. Les grandes marques sont Thomson, Philips et leurs sous marques (blaupunkt, arthur martin, ...). Seul subsiste aujourd'hui Sony.
* Coté téléphone et mobiles, les grandes marques sont Nokia, Matra, Philips, Alcatel, Ericson, Motorola, et à un degré moindre Sagem et Siemens.

Seuls Nokia , Ericson et Motorola existent aujourd'hui.

Que s'est il donc passé ? Est ce vraiment du fait de l'émergence des pays à bas coûts comme l'ont dit les dirigeants des entreprises électroniques françaises que notre industrie s'est effondrée ?
La réponse à cette question vient du marché.

Sur les secteurs ou les français étaient présents, les leaders sont:
* Coté TV, les japonais (niveau de vie de 30% supérieurs aux français) et les coréens (niveau de vie égal au français) occupent 80% du marché (sans compter Philips dont les téléviseurs sont fabriqués avec LG),
* Coté téléphonie les 5 leaders mondiaux sont Nokia (Finlande), Motorola, Samsung, Sony Ericson et LG avec plus de 80% du marché. Originaires de pays dont les revenus moyens sont égaux ou supérieurs aux français.

De toute façon on considère qu'il est intéressant économiquement de délocaliser (en terme social et en terme de perte de compétence se discute fortement) quand les coûts de main d'oeuvre représentent au moins 30% du coût du produit. En électronique tourne autour de 15 % (il s'agit plus d'une industrie d'assemblage de composants, la maîtrise du "liant" étant la clé du succès).

Le désastre de l'industrie électronique française ne vient donc pas d'un manque de compétitivité intrinsèque, mais soit d'erreurs de gestion et soit de la stratégie de leurs dirigeants. Mon coup de gueule vient de là.
CSouvent d'ailleurs ces dirigeants ne sont pas sanctionnés et persistent dans leurs erreurs.

Chacun des cas des grands leaders français est particulier:
a) Cas 1 Thomson. Quand Thierry Breton prend sa tête en 1997, la société est en quasi faillite: Le 1er ministre de l'époque, Juppé, voulait la donner à Daewoo, un coréen, pour 1 franc symbolique après y avoir injecté 10 milliards ...(et quand même après l'avoir scindé de la partie CSF très rentable (Thalès maintenant). Breton fait le tour des usines, remotive les employés et la société redevient rentable en moins d'un an et la mets dare dare sur la voix du tout numérique.
Puis jugeant sa taille trop faible et un retard trop important sur les écrans plats qu'il pressent en vague de fond (pas assez de trésorerie pour revenir sur les leaders selon lui), il préfère réorienter Thomson sur le software plus lucratif et en croissance plus forte pour moins d'investissement.
Résultat, Thomson est 10 ans plus tard un leader mondial de ce secteur, mais toute ses activités électroniques ont disparu.
Mention bien si on considère la pérennité de Thomson. Mais coté industrie électronique française, la note a été salée.
D'autres, partis de beaucoup plus bas que Thomson, dont LG (niveau de vie coréen = celui des français) ont réussi à se développer de façon considérable. Il n'y avait donc pas de fatalité.
Cette histoire montre toutefois qu'il s'agit d'une question de volonté du dirigeant: En quelques mois en 1997, Breton avait réussi de faire d'une boite moribonde un leader mondial de l'électronique, et ceci en France.

b) Cas 2 Sagem: Fin 2001, les télécoms sont en crise et Sagem vient de perdre Bertrand Faure son PDG. Personne ne donne une seule chance à sa branche télécom.
Pourtant, le direteur de la branche télécoms se démène comme un diable, motive ses employés (sans lesquels rien ne se fait - même leçon qu'avec Breton).
2 ans plus tard, Sagem est numéro 1 du marché français, même s'il reste un nain. Il se développe très vite en Chine et a plein de projets dans les cartons. Merci quand même le soutien du client Orange (et à un moindre degré de SFR).
Patatras, Sagem fusionne avec Snecma. Vous avez bien lu: Les mobiles avec les moteurs d'avions, il parait qu'il y a une synergie. Et le patron de Snecma prend les commandes de la nouvelle boite nommée Safran.
Il ne faut pas être futé pour comprendre qu'il s'agit d'une grossière erreur stratégique et ne pas savoir à l'avance que vendre des combinés téléphoniques ne va pas être sa priorité. La R&D de Sagem télécom est disons mieux calibrée (alors que chez les concurrents elle atteint quasiment du 20% du chiffre d'affaires). Le résultat ne se fait pas attendre. Sagem est aujourd'hui quasiment hors course, même sur le marché français, et malgré le soutien d'Orange.
Mention très mauvais donc en terme de stratégie. Le succès du début des années 2000 souligne bien que cela n'est pas du à la compétitivité des usines et de la R&D française, mais uniquement à la stratégie. Désormais le démentellement a commencé.
Du Sagem fusionné avec Snecma pour donner Safran, ne restera d'ici 1 an à priori que Safran et l'ex branche défense de Sagem. Triste sort pour les salariés des autres entités.

c) Le cas Alcatel.
Quand son PDG début des années 2000 prononce son discours stratégique qui fera date et qui depuis est la ligne conductrice de sa gestion, il sidère toute l'industrie mondiale des télécoms alors en pleine crise après l'éclatement de la bulle Internet. L'objectif: Une entreprise sans usine qui ne conservera que sa R&D et le marketing.
A mots voilés, son homologue de Thomson, Breton, juge que cela n'est pas une bonne idée. Le directeur de la stratégie d'Ericson, en privé toutefois, est beaucoup plus enthousiaste, célébrant "un grand jour où on vient de perdre un concurrent redoutable, Alcatel".
Dès 2004, l'activité téléphonie d'Alcatel est rayée de la carte du monde. Suivent à marche forcée un grand nombre d'activité périphériques pour se concentrer sur quelques points où Alcatel reste le leader. On ne peut pas dire grand chose à ce niveau sur cette période, tous les concurrents faisant de même tant la crise est sévère.
Mais à partir de 2004, la crise n'est plus là, et alors que tous les concurrents investiisent en R&D à tour de bras quitte à sacrifier temporairement leurs marges, Alcatel délocalise en masse ses productions et de plus sa R&D. Puis comme Sagem se lance dans une fusion de titans (au fait, toutes les statistiques montrent que 80 % des fusions entre sociétés de même taille échouent - donc il y a encore une chance sur 5 pour que cela marche même si c'est mal commencé).

Résultat: Alcatel est en crise, et il est à craindre que cela ne soit pas près de s'achever si la seule stratégie est de réduire les effectifs pour s'ajuster (tant que la direction ne changera pas de toute façon appliquera la même stratégie).
Les 3 stratégies du modèle sans usine, de la délocalisation à outrance et des fusions de titans sont visiblement des erreurs. Il suffit de comparer avec les courbes de croissance des concurents d'Alcatel de 2004 (sortie de la crise télécoms - avant ne veut pas dire grand chose) à maintenant. Les 4 concurrents de tailles comparables à Alcatel ont eu leur chiffre d'affaire qui ont augmenté de 10 à 50 %. celui d'Alcatel à périmètre comparable à baissé de 20 %. Attention, je ne dis pas qu'ils n'ont eux non plus d'usine dans des pays à bas coûts, ... (simplement quand ils en construisent, c'est en général pour le marché local ou les marchés low cost ... être au plus près de leurs clients quoi. Pour l'europe, Sony Ericson à ses usines en Europe, pas en Asie).
Tout n'est pas perdu: Il faut un PDG dynamique qui redynamise les troupes et relance la société. Une surprise toutefois: La direction est récompensée par des primes généreuses et on vient d'annoncer un nouveau plan social. Pas sût que ce soit la bonne façon de résoudre le problème.

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